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Cette semaine, dans la nuit de vendredi à samedi, la Coordination rurale est venu déposer devant la vitrine du parti Les Ecologistes-EELV à Auch un monticule de paille et de fumier qui monte jusqu’aux fenêtres du premier étage où vivent sans doute des braves gens qui n’ont rien à voir à l’affaire. L’affaire, quelle est-elle d’ailleurs? Il y a quelques jours, le 11 juillet dernier, la députée écologiste Sandrine Rousseau interrogée sur le plateau de Le Média, a tenu des propos qui ont déplu. Interrogée sur l’argument avancé par les promoteurs de la loi Duplomb selon lequel l’interdiction d’un certain produit phytosanitaire notoirement toxique pouvait nuire à la rentabilité de certaines exploitations, elle a eu cette réponse, certes un brin cavalière mais pas si inappropriée que ça si l’on considère la manière dont la question a été posée: « Je n’en ai rien à péter de leur rentabilité et puis je pense que ce n’est pas le sujet ». Elle précisait dans la foulée: « La rentabilité de l’agriculture par des produits chimiques, au détriment des sols, de la biodiversité, de notre santé, ce n’est pas de la rentabilité, c’est de l’argent sale. »
« Rousseau méprise les agriculteurs » a répondu la Coordination rurale qui, mépris pour mépris, s’arroge du coup le droit de déverser quelques tonnes de merde devant le local des écologistes du Gers. Au passage et pour faire bonne mesure, la députée de Paris est comparée à Pol Pot, Staline et Mao, ainsi que le rapporte la presse locale. La brutalité outrancière de la réplique a d’abord pour effet d’écraser et de rendre totalement inaudible l’argument soulevé par la députée et que l’on pourrait reformuler par la question ainsi posée: la rentabilité (de quelque activité que ce soit) justifie-t-elle que l’on s’empoisonne pour des dizaines et des dizaines d’années? Dit autrement encore, est-il moralement acceptable de détruire la biodiversité et de rendre des gens malades pour permettre à certains (qui ne sont très généralement pas les agriculteurs eux-mêmes) de gagner de l’argent, voire beaucoup d’argent? Quand la question est posée à l’industrie, la réponse semble aujourd’hui être claire et à peu près consensuelle (ce qui n’empêche pas l’industrie de continuer à polluer allègrement). Quand elle est posée à l’agriculture (qui est devenue depuis longtemps une industrie), on l’étouffe sous des tonnes de fumier et d’insultes pour ne surtout pas avoir à y répondre.
Quant on commence à remplacer l’argumentation et le débat par la violence, on finit toujours par brûler des livres et jeter des gens en prison. C’est la mécanique implacable du fascisme…
Accuser l’écologie d’être « punitive » est une manière de faire oublier que ce qui est réellement et monstrueusement punitif, c’est d’avoir fait disparaître 80% des insectes, plus de la moitié des oiseaux, de ratiboiser les forêts, de minéraliser les sols, d’accélérer l’érosion, d’empoisonner l’eau, de faire pousser les cancers, et on en passe. On ne dira jamais assez que les agriculteurs, ces nouveaux « damnés de la terre », sont les premières victimes d’une situation dont ils ne sont pas les auteurs, mais les agents contraints et forcés. Il y a à ce propos quelque chose de profondément attristant à voir les premières victimes de l’agro-industrie mondialisée se mobiliser pour défendre bec et ongles leurs bourreaux, pour faire perdurer le système qui les enchaîne par la dette, les enferme dans des modes de production aussi mortifères pour eux et pour nous qu’ils sont fricogènes pour d’autres, les culpabilise en permanence et maintient l’écrasante majorité d’entre eux dans la précarité. Ce système agro-industriel mondialisé est d’une grande perversité. Il canalise à son profit la grande et juste colère dont il est la seule véritable cause. Il pervertit l’idée même du combat syndical (celui qui défend les exploités contre les exploiteurs) en mettant des syndicats à sa botte. Il dispose de ses milices en tracteurs et envoie punir les voix qui s’élèvent contre lui à grands seaux de paille et de fumier. Il pousse les élus et les pouvoirs locaux à la veulerie, écrase toute velléité de penser des modèles différents, interdit toute remise en cause sérieuse et argumentée. Quant on commence à remplacer l’argumentation et le débat par la violence, on finit toujours par brûler des livres et jeter des gens en prison. C’est la mécanique implacable du fascisme.
Les agriculteurs, répétons-le une fois encore, ne sont pas le problème, ils sont la solution. Beaucoup le pressentent et de plus en plus le savent. Ceux qui voient dans cette façon de penser une marque de mépris à leur encontre se trompent et trompent le monde. Toute cette belle énergie et cette agressivité devraient être orientées vers des objectifs utiles à tous plutôt que pour préserver les intérêts de quelques uns. Comment libérer les agriculteurs du piège agro-industriel dont ils sont prisonniers? Comment passer, non pas demain, un jour, mais maintenant, tout de suite, à des modes de production respectueux de l’environnement et de la santé? Comment opérer ces changements en protégeant d’abord les intérêts des agriculteurs eux-mêmes? Comment modifier les circuits de l’argent pour que la richesse produite soit plus équitablement répartie? Les réponses à ces questions sont extrêmement dérangeantes pour ceux qui aujourd’hui profitent grassement du système, plutôt très peu nombreux mais très aptes à défendre leurs intérêts par tous les moyens.
A l’heure où ces lignes sont écrites, la pétition « Non à la loi Duplomb — Pour la santé, la sécurité, l’intelligence collective » déposée par Eléonore Pattery sur la plateforme des pétitions de l’Assemblée nationale, est en passe d’atteindre le million de signatures. Cette pétition n’est évidemment pas un acte dirigé contre les agriculteurs. Elle dit une chose toute simple et urgente: il est grand temps de faire primer la vie sur le profit, que cela plaise, ou non, aux profiteurs et à leurs milices.