Le Foll, Geoffroy, l’hubris et le chant du départ
Le Foll, Geoffroy, l’hubris et le chant du départ

Le Foll, Geoffroy, l’hubris et le chant du départ

« La vocation du forgeron, c’est de taper sur les enclumes »

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Les deux tribunes publiées vendredi par Stéphane Le Foll dans l’Obs et, ce dimanche, par Hélène Geoffroy dans le JDD, révèlent comme le feraient deux planches d’anatomo-pathologie les causes du mal qui a entraîné inexorablement le Parti socialiste dans cette dégringolade dont nous fumes tous témoins impuissants, avant de devenir les acteurs de son actuelle remontée.

Le texte de Stéphane Le Foll éclaire de manière crue la manière dont une frange du Parti socialiste liée à la funeste trajectoire de François Hollande se trouve aujourd’hui dépassée par les événements, et distancée par celles et ceux qui se sont attelés autour d’Olivier Faure à la reconstruction d’un idéal et d’une ambition véritablement socialistes. Manifestement hors sol, le maire du Mans se demande pourquoi « on » a tué « sa » gauche. On lit le texte. On le relit une deuxième fois pour être sûr (il faut bien ça), et puis on revient sur le titre: « Pourquoi on a tué ma gauche? » Dans la question, c’est d’abord le pronom personnel qui interpelle. Pas besoin d’avoir fait de longues études de psychologie pour se dire qu’il y a dans cet emploi le signe d’un dérèglement intime. Le maire du Mans avait une gauche, qui était à lui, et quelqu’un l’a tuée. C’est fou cette histoire! Le premier paragraphe désigne les coupables: « Ceux qui signent des textes fumeux pour suivre Olivier Faure et sa majorité » et qui nous emmènent dans une impasse. Quelle impasse? « Celle d’une gauche entrée dans le confort du protestataire, mais incapable à terme de transformer nos modèles de développement ». Il émane de cette affirmation gratuite (elle ne sera évidemment pas étayée) un parfum de rancoeur. On se dit que ce garçon présente des signes d’un syndrome post-traumatique. Voici une liste non-exhaustive des symptômes repérés:

  1. Le dénigrement de sa propre famille: c’est curieux cette manière de se lamenter sur l’état de santé du Parti socialiste tout en lui tapant dessus à bras raccourcis. Dès la première ligne, il dénigre. Les textes de la mouvance Faure sont « fumeux » (où ça? pourquoi? comment? il ne le dit évidemment pas). Dès le premier paragraphe, il désigne sa cible, cette gauche (dont, faut-il comprendre, fait désormais partie le PS) « entrée dans le confort du protestataire (sic) mais incapable à terme de transformer nos modèles de développement » (mais qu’en sait-il, au fait?).
  2. La cécité: il dit le parti « rabougri » mais n’envisage pas une seconde qu’il puisse avoir une once de responsabilité dans ce rabougrissement. De la même manière, il fait peser le poids du score de la présidentielle sur les épaules d’Olivier Faure, alors que tout observateur doté d’un minimum de jugeote sait bien que ce résultat est la réponse du peuple aux errements du quinquennat Hollande. Si Olivier Faure est responsable d’une chose, c’est d’avoir permis après cette débâcle de conserver un groupe parlementaire socialiste digne de ce nom à l’Assemblée nationale.
  3. La vérité alternative: depuis que Donald Trump en a fait un instrument dont l’existence est désormais acceptée, pourquoi se gêner en effet? Tout le raisonnement déployé dans le texte de Stéphane Le Foll s’appuie sur « vérité alternative », une pure construction qui sert à biaiser le débat en semant le trouble: le Parti socialiste est soumis à la France insoumise. Ceci posé, il n’y a plus qu’à dérouler en faisant miroiter le mirage d’une nouvelle union à gauche, en dehors de la Nupes (mais avec qui alors? Ah oui, les écolos réformistes!).
  4. L’obsession de la radicalité: quand, chez un socialiste, l’anti-Mélenchon prend à ce point le pas sur l’anti-Le Pen, il y a vraiment du souci à se faire. Brandir la radicalité comme un chiffon rouge, un épouvantail à bourgeois, s’en servir pour rapprocher dans les esprits cette gauche-là de l’extrême droite, c’est plus qu’une faute, c’est un crime. N’oublions jamais qu’aucune transformation sociale d’une quelconque importance ne s’est jamais faite sans l’aide et l’appui d’une certaine radicalité. Les méthodes de la France insoumise ne sont certainement pas celles du Parti socialiste, mais bien de nos causes sont communes alors que nous n’en partageons aucunes avec l’extrême droite.
  5. Le discours incantatoire: cette manière d’en appeler à « un autre imaginaire » sans jamais dire vraiment en quoi cet imaginaire serait différent de celui proposé par la gauche actuelle relève de la pure incantation. Il y aurait, quelque part, une « autre gauche », forcément républicaine, forcément laïque, forcément « raisonnable » (mais que veut dire ce mot?), une sorte de monde merveilleux sans France insoumise (cf. point 3)… Mais cela n’existe pas, Monsieur Le Foll. La gauche, c’est juste ce qui est à gauche, ce qui se bat pour un monde plus juste, plus fraternel, plus égalitaire. Pas plus, pas moins.
  6. L’hubris: quand j’étais enfant, dans ma famille, on disait de quelqu’un qui avait pris la « très » grosse tête, qu’il avait eu « un accident de cafetière ». En langue savante, on parle d’hubris pour qualifier ces crises d’outrance déclenchées par un débordement d’orgueil. Et là, il y a des signes: Môssieur Le Foll a été aux manettes, il sait ce que c’est, lui, et nous l’explique. « Gouverner, ce n’est pas facile, c’est en permanence — non pas prévoir, cela se fait avant, avec des valeurs fortes et la construction d’un projet solide — mais être capable de répondre au choc des événements, guerres, terrorisme, pandémie, crises en tout genre… » Bigre! On se pince. Le gars est sérieux. Il nous regarde d’en haut, en surplomb. Il est dans le camp de la raison (comme Macron, donc), et tous ceux qui ne sont pas d’accord avec lui sont, par voie de conséquences, des irresponsables.
  7. La langue de l’ennemi: c’est bien connu, à force de parler la langue de l’ennemi, on court toujours le risque de finir par en adopter les idées. D’aucuns ont vu là l’une des cause de l’affaiblissement de la social-démocratie… Dans le festival de phrases sans nuances qui s’enchaînent dans le texte de Le Foll, une retient l’attention: « La gauche radicale se fracasse dans son rapport aux classes sociales populaires en proposant une redistribution massive en reniant l’idée même du mérite et laisse les travailleurs des ETI, PME, petits artisans, au mieux indifférents, au pire humiliés avec l’idée (rien que ça — ndlr) que leur travail n’est pas reconnu. » Outre que l’argument relève d’une bonne vieille rhétorique populiste (un comble, non?), il faut surtout se méfier du recours à la notion du mérite1 qui, à droite notamment, sert à justifier tant d’inégalités sociales. Quand on invoque le mérite, il vaut mieux être capable de dire qui « mérite » et qui ne « mérite pas ». Surtout, il faut dire le sort que l’on réserve à ceux qui ne méritent pas…
  8. Les propos de comptoir: Le Foll, c’est une sorte de bon sens de comptoir, une manière d’affirmer des choses qui sont forcément vraies, puisque proférées sur un ton de tranquille autorité. Il en est ainsi de cette phrase stupéfiante: « Soyons honnêtes, la retraite à 60 ans pour tout le monde, la semaine de 32 heures, le smic à 2000 euros brut, le blocage des prix, la sixième semaine de congés payés, le revenu universel, les couches populaires n’y adhèrent pas car elles n’y croient pas. » Il n’y a plus qu’à imaginer la phrase qui court ensuite dans son cerveau et qu’il n’ose pas écrire: « S’il n’y croient pas, pourquoi est-ce qu’on s’emmerderait à le faire? » Dans le paragraphe suivant, il se laisse aller à un peu d’anti syndicalisme primaire car, c’est bien connu, les grands mouvements sociaux sont « une impasse et un emmerdement maximum pour les couches populaires, moyennes et insécurisées » (Hips, patron, vous nous remettez la même, avec un pot de rillettes?!).
  9. Tartufferies en série: le type qui en appelle à renouer avec l’esprit des Lumières fait le reproche à ce qui fut « sa » gauche de se fourvoyer dans des politiques datées. Tout ça pour finir par annoncer qu’il s’en va danser avec Bernard Cazeneuve et les « égarés du socialisme » pour créer un nouveau mouvement. Il embarque dans le mouvement Hélène Geoffroy qui, elle aussi, s’emploie avec constance à démolir sa propre famille. Il emprunte la « chienlit » au vocable gaullien en oubliant que, contrairement à ce qu’il affirme, cette « chienlit » dont il parle a bien profité en son temps aux forces de progrès. Un festival de tartufferies en tous genres qui finissent pas décrédibiliser l’ensemble de son propos.

Quant à Hélène Geoffroy, puisqu’il faut bien dire un mot de la tribune indigne qu’elle signe ce dimanche avec un millier des siens, elle pousse jusqu’au bout du paroxysme les curseurs de la rengaine diffamatoire ânonnée depuis des semaines par François Hollande, Bernard Cazeneuve, Stéphane Le Foll et consorts. Cette idée que le Parti socialiste aurait « théorisé l’apport des voix du RN lors des motions de censure » est tellement grossière et injurieuse qu’elle couvre d’indignité ceux qui la propagent. Avant même que le 80e congrès du Parti socialiste ait commencé, ces gens qui forment une pathétique chorale nous infligent leur chant du départ. Chantez et croassez, mais partez vite. Ne vous en déplaise, nous restons socialistes. « Notre » gauche travaille. Nous avons un monde d’après à construire et pas de temps à perdre à ferrailler sur des problèmes que vous avez créé de toutes pièces.

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