Congrès blues
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Pour une éthique socialiste du militantisme politique

Les congrès, par nature, sont des moments de vérité. D’abord parce qu’ils permettent de faire éclore une vérité collective, de définir un axe majoritaire autour duquel s’organise l’action des mois et années à venir. Ensuite, parce qu’ils sont l’occasion dont chacun devrait s’emparer pour en faire, pour lui-même, des moments de vérité individuels et intimes. Qu’est-ce que je fais là? Pourquoi est-ce que je paye ma cotisation? Quelles sont les valeurs auxquelles je tiens? Où sont mes lignes rouges? Que sont la fidélité et la loyauté? Qu’est-ce que l’engagement? Que suis-je prêt à laisser sur la table? Quel prix suis-je prêt à payer pour défendre mes idées? Voilà quelques-unes des questions que tout militant un tant soit peu responsable devrait se poser en se regardant dans la glace avant d’apposer sa signature au bas d’un texte d’orientation. Car mettre son nom au bas d’un texte est une chose grave. La signature signifie que l’on assume chaque mot, que l’on est d’accord, non seulement avec l’idée générale, mais aussi avec toutes les idées qu’il sous-tend, et même avec celles qu’il contient entre ses lignes. La signature est sensément réservée aux lecteurs avertis, et c’est le nombre des lecteurs avertis qui donne son intensité à la force du texte. Plus ils sont nombreux, plus on peut espérer que l’idée qu’il contient frappera fort et qu’elle ira loin. Or, s’il est facile de connaître le nombre de signataires d’un texte, il est impossible de savoir, parmi ceux-ci, quel est le nombre de lecteurs véritablement avertis et sincères. Combien sont-ils réellement, ces signataires qui ont pris la résolution de laisser de côté leurs affects, leurs inimitiés et amitiés particulières pour se concentrer sur le texte et seulement sur le texte?

A l’approche de chaque moment de vérité, il est en effet assez aisé de constater que les raisons qui poussent les uns et les autres à signer tel texte plutôt que tel autre ne sont pas toujours motivées par une adhésion pleine et entière à chacun des termes qu’il contient, mais relèvent de considérations diverses ou de sujétions, parfois subies, parfois revendiquées… Pendant que certains se battent pour des idées, d’autres en profitent pour régler des comptes, faire la guerre à des personnes, ou pour réaffirmer leur leadership sur des landerneaux locaux. Ce 80e congrès n’échappe pas à la règle. On peut même dire qu’il l’illustre spectaculairement ici ou là tant les discussions et les débats autour des trois propositions sont manifestement pollués, dans toutes les fédérations ou à peu près, par de sombres histoires d’hommes et de femmes, d’ambitions personnelles et de rancoeurs accumulées. Il y a sans doute là un ressort de la nature humaine contre lequel on ne peut rien. Les esprits faibles, les pensées mal dégrossies, les âmes calculatrices, profiteront toujours de ces invitations à penser haut pour frapper bas. Au moment où il faudrait surtout regarder au-delà de soi-même et rester concentré sur « la » grande idée, celle sur laquelle on compte pour changer le monde, on peut se dire, comme à chaque fois, que c’est fâcheux.

Cette année en particulier, un sommet aura été atteint avec cette brochette de « camarades » qui, tout en donnant la main sur le coeur et les yeux humides de grandes leçons de valeurs et de socialisme, en profitaient pour faire les poches du parti en détournant au profit d’une autre formation une partie du financement public qui lui était dû. On en reste sans voix.

L’art du flou

Alors que l’on s’approche de l’heure de vérité, que peut-on dire au terme des confrontations et des débats de ce que nous proposent les trois textes d’orientation mis aux voix? Ils sont trois mais ne nous indiquent en fait que deux voies, suffisamment distinctes pour qu’elles puissent définir une première ligne de partage des eaux. Le texte numéro 1, porté par Hélène Geoffroy rassemble toutes et celles et ceux qui, viscéralement révulsés par l’idée qu’ils se font de Jean-Luc Mélenchon et de la France insoumise, se sont convaincus qu’il fallait sortir de la Nouvelle union populaire, écologique et sociale (Nupes), et que le Parti socialiste, seul et fier entre cette gauche honnie et l’hypercentre macronien, allait se refaire une santé et retrouver son leadership sur la gauche « fréquentable ». A l’exact opposé de ce point de vue proprement suicidaire, le texte numéro 2 d’Olivier Faure propose de poursuivre une dynamique engagée dans l’union et qui, dès le lendemain des élections législatives, s’est avérée payante. Après le score calamiteux de l’élection présidentielle, le Parti socialiste, grâce à l’accord de la Nupes, a réussi à préserver de manière inespérée un groupe consistant à l’Assemblée. Depuis, ce groupe travaille, impose sa présence et marque sa différence au sein de l’intergroupe Nupes. Conséquence de ce travail, la présence médiatique de nos leaders n’a cessé de se renforcer tandis que le nombre de nos adhésions augmente à nouveau. Une dynamique s’est installée.

Si ces deux positions à peu près diamétralement opposées ont le mérite de la clarté, le texte d’orientation numéro 3 porté par Nicolas Mayer-Rossignol navigue quant à lui sur les eaux troubles de l’ambigüité. Après avoir franchement marqué son hostilité à la Nupes, on finit par reconnaître à reculons que cet accord a tout de même quelques vertus… On se dit pour l’union, même avec les affreux insoumis, mais à condition que dans cette union, on soit les plus forts. Subsiste en revanche un gros flou sur la manière de parvenir, sur un claquement de doigts, à être les plus forts, tout comme subsiste également beaucoup de flou dès lors qu’on s’aventure à critiquer le bilan d’une direction nationale que l’on prétend vouloir changer, mais dont certains signataires font semblant d’oublier qu’ils en étaient encore membres il y a peu… Le fait est que la seule différence marquante entre le texte 2 porté par Olivier Faure et le texte 3 de Nicolas Mayer-Rossignol est la position sur la Nupes: un oui clair et net d’un côté, un oui mais aux contours vagues de l’autre. Pour tenir un cap et convaincre sur un courant aussi erratique, il faut de solides aptitudes de rameurs. La faiblesse de ses arguments de fond conduit d’ailleurs parfois le premier signataire, pour combler le vide, à faire des déclarations hasardeuses (1). Le bruit de fond qui subsiste et persiste, c’est que tout cela, si l’on s’en tient strictement au plan des idées, manque singulièrement de sérieux.

Post-vérité et faits alternatifs

Dès lors, qu’est-ce qui motive les signataires de ce TO3 qui ne sont évidemment pas des imbéciles? Voilà typiquement le genre de question que l’on aime poser pour le simple plaisir d’entendre, dans son sillage, le doux zonzon du vol des mouches attendant une réponse… Quand toutefois des réponses tombent, elles sont alambiquées, donnent l’impression de tourner autour du pot. On se défend (la main sur le coeur, toujours…) de tout dégagisme à l’endroit d’Olivier Faure. On vous chante des hymnes à l’union sans vous dire vraiment l’union avec qui, ou sans qui… A ce propos, on se méfiera aussi des chantres de l’union qui sèment ici ou là, mine de rien, des petites graines de division. La formule « le socialisme du faire » restera un bon exemple de ces tentatives de créer des dialectiques aussi délétères qu’inutiles. Elle a en tout cas fait des dégâts chez certains élus qui se sont dès lors convaincus qu’ils étaient, en quelque sorte, les opératifs d’un socialisme réel, laborantins experts, allant seuls au charbon pendant que les forces militantes restaient cantonnées dans un socialisme spéculatif, aussi confortable que détaché de la vraie vie. Faire le rapprochement, comme l’ont fait certains pour appuyer cette démonstration, entre le fonctionnement d’une commune socialiste d’aujourd’hui et le socialisme municipal tel qu’il se pratiquait entre 1900 et 1930, relève du pur anachronisme. Laisser entendre que seuls ceux qui sont aux manettes (c’est-à-dire élus) savent réellement ce qu’est la vraie vie est plus qu’une erreur de jugement, c’est une faute. Créer de la tension entre élus et militants sur la question de savoir qui est le plus qualifié pour parler socialisme n’a aucun sens, si ce n’est pour nous détourner de la seule tâche qui vaille et qui est autrement exaltante: celle qui consiste à inventer un socialisme nouveau, apte à répondre à des défis auxquels l’humanité n’a encore jamais été confrontée. C’est bien dans les partis que se bâtissent les grandes idées, celles qui donnent de l’espoir et entraînent les foules.

L’histoire retiendra sans doute également que cette campagne du 80e congrès n’aura pas échappé aux perversions de l’époque que certains ont qualifiée d’ère de la post-vérité. Apparu en 2004 sous la plume de l’écrivain américain Ralph Keyes (2), le terme de post-vérité a commencé à fleurir vraiment avec les mensonges éhontés de George Bush et Colin Powell sur les armes de destruction massive pour justifier leur intervention militaire en Irak. Mais celui qui a donné tout son sens à l’expression est Donald Trump, champion toutes catégories du mensonge industriel. Un sommet a été franchi en 2017, au lendemain de l’investiture de Donald Trump, lorsque ce dernier affirme contre toute évidence que sa cérémonie a réuni le public le plus nombreux de toute l’histoire des Etats-Unis. Priée de répondre à ces propos mensongers, contredits par des quantités de photos et de films et répétés néanmoins avec force conviction lors d’une conférence de presse par le porte-parole de la Maison Blanche, Sean Spicer, la conseillère du président Trump, Kellyanne Conway, fait cette réponse stupéfiante au journaliste de NBC qui l’interroge: « Ce n’est pas un mensonge, ce sont des faits alternatifs… »

Depuis ce 22 janvier de sinistre mémoire, l’idée selon laquelle on peut dire à peu près n’importe quoi et transformer ce n’importe quoi en « fait alternatif », a fait son chemin et a conquis de nombreux adeptes. Il faut dire que la recette est simple: 1- Vous tricotez une affirmation qui vous arrange, peu importe si elle peut être démentie dans l’instant avec des preuves irréfutables. 2- Vous propulsez cette affirmation sur les réseaux sociaux et la faites répéter ad nauseam sur tous les tons et tous les modes par le plus grand nombre de personnes possible. 3- Au bout de quelques heures, voire de quelques jours, c’est cuit: vous avez un fait alternatif qui va vivre sa vie dans les médias et infecter le débat à votre avantage.

Ce 12 janvier, la raison devra l’emporter

On ne peut que déplorer, en tant que socialiste, que cette méthode ait été utilisée et continue de l’être avec une efficacité certaine, jusque dans nos propres rangs. « Olivier Faure et le Parti socialiste sont soumis aux insoumis. » Mijotée par une Macronie épouvantée de voir se reconstituer sous ses yeux une dangereuse union de la gauche, voilà l’affirmation fantaisiste et malfaisante qui fut assenée sans preuve, puis relayée et amplifiée complaisamment par quelques ténors de notre propre parti. Cette petite musique de « la Nupes marché de dupes » a été jouée pendant des semaines sur tous les tons et tous les modes, sur tous les réseaux sociaux et dans tous les médias sans qu’aucune des nombreuses preuves rapportées du contraire n’y puisse rien changer. La diffamation est devenue un fait qu’aucun journaliste ne prend la peine de questionner. Le signataire du TO3 Nicolas Mayer-Rossignol et ses troupes continuent d’ailleurs à ce jour d’employer chaque fois qu’ils le peuvent, au détour d’une phrase, le mot « soumis », histoire de continuer à faire jouer la petite musique toxique critiquant une union qui, décidément, a toujours bien du mal à passer chez certains…

A quelques heures d’un scrutin, il est toujours hasardeux de livrer des pronostics sur de simples ressentis. On peut néanmoins formuler des espoirs, et notamment celui que notre vieux parti ait encore la capacité de penser grand, de penser fort, de penser loin. Cette campagne du congrès nous montre aussi qu’il est urgent de mettre l’éthique militante au tout premier rang des valeurs socialistes que nous portons et défendons. Après la longue descente aux enfers qui s’est conclue par un terrible 1,7% à la dernière élection présidentielle, nous avons réamorcé une dynamique qui a replacé notre parti clairement à gauche, et qui suscite de nombreux espoirs. C’est à cette dynamique qu’il faut s’accrocher pour continuer à lui donner de l’élan. Nous sommes de nombreux militants à le penser avec raison. Ce 12 janvier, c’est cette raison-là qui devra l’emporter.

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1- Rapportée par « La Dépêche du Midi » dans son édition du 3 janvier 2023, la phrase de Nicolas Mayer-Rossignol affirmant « qu’une femme n’a pas vocation à accepter la proposition d’un homme pour être sa numéro 2 » mériterait à elle seule la rédaction d’un essai sur les fausses bonnes idées du féminisme mal compris (et encore une fois dévoyé) par les hommes…

2- « The Post-Truth Era, dishonesty and deception in contemporary life », Ralph Keyes, ed St Martin Press, 2004

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Un commentaire

  1. Delmestre

    Dans le mouvement social qui va s’engager sur les retraites, SEUL Olivier Faure est capable d’incarner le PS aux côtés des forces syndicales et politiques de gauche !

    N’oublions pas le « plus jamais PS » qui nous a fait tant de mal et dont nous sommes sortis grâce à Olivier !

    Alain

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