Jeux olympiques: la communication à deux balles du Gouvernement
Jeux olympiques: la communication à deux balles du Gouvernement

Jeux olympiques: la communication à deux balles du Gouvernement

Avant de partir en vacances, les enfants de mon école de quartier ont reçu un cadeau du Gouvernement relatif aux prochains Jeux olympiques. Cela prend la forme d’un petit livret de 30 pages sur l’histoire des Jeux. Les quatre premières pages sont dédiées à un air de flûte joué à trois voix par le Président de la République Emmanuel Macron, le Premier ministre Gabriel Attal, et la ministre des Sports qu’on ne présente plus, Amélie Oudéa-Castéra. Tout y passe évidemment, de ces fameuses « valeurs du sport » — « forcément universelles » souligne la ministre — que sont le dépassement de soi et l’entraide, l’esprit d’équipe, le respect des règles communes, l’audace, le courage, la fraternité et tutti quanti… De la bonne langue de bois vernie à souhait, mais après tout, pourquoi pas.

Ce qui coince un peu en revanche, c’est l’objet qui accompagne le livret: une belle pièce de deux euros flambant neuve frappée pour l’occasion aux armes des Jeux. Cela aurait pu être une breloque commémorative qui aurait eu valeur de symbole, mais non, notre Gouvernement tout pétri des valeurs de l’olympisme a préféré envoyer à tous les enfants de France scolarisés du cours préparatoire au cours moyen une vraie pièce de monnaie qui, en plus de la valeur symbolique que l’on peut accorder à sa décoration particulière, a aussi une valeur monétaire bien réelle de deux euros. Sachant qu’il y a peu ou prou entre 4 et 5 millions d’écoliers scolarisés en primaire en France, cela représente environ 9 millions d’euros en monnaie brillante et bicolore, sonnante et trébuchante.

Sachant qu’une pièce de deux euros pèse exactement 8,5 grammes, ce geste qui pose de nombreuses questions pèse plus de 38 tonnes d’argent liquide pioché dans les caisses de l’Etat et jeté à la volée au petit peuple des écoliers de France. De nombreux professeurs des écoles (j’en connais un certain nombre) ont du mal à museler leur indignation et à cacher leur embarras. La plupart des paquets ont été livrés aux établissements scolaires il y a plusieurs semaines déjà avec instruction d’attendre le feu vert pour une distribution qui a commencé juste avant les vacances et, selon les uns et les autres, devrait s’étaler jusqu’au mois de juin.

En février dernier, lorsque l’opération a été dévoilée, les syndicats d’enseignants ont réagi plutôt mollement. Le coût global de cette campagne tourne autour de 16 millions d’euros selon le ministère de l’Education nationale qui avait été questionné par la presse. On peut s’interroger sur le fait que cette opération n’ait suscité qu’un « agacement » des syndicats enseignants, selon le journal Le Monde qui s’en est fait l’écho dans son édition du 22 février 2024. La cosecrétaire générale de la FSU-SNUipp qui s’est confiée à l’Agence France Presse parle bien d’un « pur scandale » alors que le Gouvernement ne cesse d’imposer des efforts d’austérité et de serrer les boulons de tous ses ministères, mais cela n’est toutefois pas allé jusqu’à déclencher dans les écoles des refus de distribution aux élèves. La Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), qui milite pourtant pour un « choc des moyens pour l’école publique » et qu’on a connue plus réactive lorsque l’éthique ou les valeurs de l’école sont égratignées, ne s’est pas plus emparée du sujet. De quoi cela est-il le signe?

Il y a pourtant matière! On peut pour s’en convaincre lire les explications aussi extraordinaires que confondantes du Premier ministre qui s’adresse directement aux enfants dans ces termes: « La pièce de deux euros qui l’accompagne [le livret] n’est pas une simple pièce de monnaie, mais un témoignage de cet événement grandiose [les Jeux] qui vous permettra de dire plus tard: J’y étais. Vous serez les premiers dépositaires de cet héritage [le choix des mots…]. Comme tout héritage précieux, il est essentiel de le partager et de faire vivre ses valeurs. […] En conservant cette pièce et en la transmettant, vous passerez le relais olympique aux générations futures. » Que dit le Premier ministre paternaliste qui parle aux enfants de la République comme le Tonton relou (et radin), ou le Parrain rasoir (et radin aussi), qui passe une fois l’an à la maison? « Je te donne cette jolie pièce de deux euros que tu garderas précieusement pour la transmettre plus tard à tes enfants (et que donc tu es prié de ne pas aller gaspiller bêtement en allant acheter des bonbecs)… » Comment vous dire, Monsieur Attal?…

On soulignera aussi ce fait que le symbole de l’argent est — officiellement désormais — indissociablement lié à celui du sport. Les enfants sont bel et bien invités, dès l’école et par l’école, à rêver aux Jeux olympiques et à ses valeurs mirifiques en tenant bien serrée dans leurs petites mains une belle pièce neuve de deux euros. Le sens du mot « valeur » s’en trouve du même coup simplifié (ou « novlanguisé » si l’on veut). Pendant ce temps-là, la flamme olympique a commencé son périple à la tête d’une outrancière caravane publicitaire sponsorisée par Coca Cola, la boisson préférée — c’est bien connu — de tous les sportifs en bonne santé!

A y regarder de près et quel que soit l’angle sous lequel on l’observe, il y a quelque chose d’extrêmement malaisant dans cette campagne de communication gouvernementale qui agit comme un révélateur de notre époque: course au profit toujours plus débridée, mépris de classe, abrutissement des masses, cynisme de mieux en mieux assumé de nos gouvernants, etc. Tout cela finalement est fort bien résumé dans la devise latine des Jeux olympiques: Citius, altius, fortius (plus vite, plus haut, plus fort). Cette culture du dépassement permanent est bel et bien devenue le mantra du capitalisme sans freins. Les Jeux olympiques en sont devenus sa célébration orgiaque. Jusqu’où s’arrêteront-ils a-t-on envie d’ajouter? En 2021, le comité international olympique a cru bon de devoir ajouter « ensemble » à la suite de sa devise. Quitte à y aller en effet, on n’a qu’à tous se donner la main! C’est drôle, d’un coup nous voilà transformés en troupeau de lemmings1 courant droit et sans réfléchir vers la falaise et notre inéluctable fin. Comme dit Francis Cabrel dans sa chanson: « Est-ce que ce monde est sérieux? »

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1- La science — et c’est heureux car cela nous laisse un espoir — a démontré que le suicide collectif des lemmings était un mythe