Pouvoir d’achat : de quoi parle-t-on exactement?
Pouvoir d’achat : de quoi parle-t-on exactement?

Pouvoir d’achat : de quoi parle-t-on exactement?

[Mercredi 27 juillet 2022] On le dira souvent sur ce blog: il faut se méfier des mots et des sens qu’ils recèlent. Parmi les expressions toutes faites, et tellement toutes faites qu’on ne prend plus la peine d’en ré-interroger le sens, le « pouvoir d’achat » refait régulièrement surface dans le paysage médiatique. Accolés l’un à l’autre, ces deux petits mots chargés d’ions positifs sont puissamment évocateurs. Au « pouvoir » auquel on associe naturellement la puissance, répond le mot « achat » qui symbolise l’aboutissement, ou plutôt la réalisation du désir. L’alliage de la puissance et du désir, voilà qui semble totalement irrésistible. Mais que se cache-t-il réellement derrière cette affriolante promesse? Et pourquoi donc des députés aussi peu réputés pour leur sens des largesses vers les classes populaires n’ont-ils que ces deux mots à la bouche?

Pour mieux saisir le sens de l’expression, il faut commencer par dépouiller le mot « pouvoir » de toute sa virile quincaillerie pour le ramener à son sens premier: pouvoir, c’est juste et seulement « être capable » ou « avoir la faculté » de. Quant au mot « achat », il faut également se garder de l’associer à tout ce que nous sommes amenés à désirer, en particulier, parce que nous n’avons pas les moyens de nous les offrir. Ainsi derrière l’expression « pouvoir d’achat » n’apparaît plus l’espoir aussi enfantin que déraisonnable qu’avec cette baguette magique nous pourrions enfin réaliser tous nos désirs. Il faut prendre l’acte d’acheter dans son sens le plus strict, à savoir l’action d’échanger un bien ou un service contre une somme d’argent. La circulation des biens et des services au moyen de l’argent, c’est ce qui fait tourner la machine économique, et c’est ce qui remplit les caisses à trésor des capitalistes. Le pouvoir d’achat des pauvres et des classes moyennes, c’est le pouvoir tout court des riches et des puissants.

Ainsi, lorsque s’installe un mouvement inflationniste qui fait grimper tous les prix, la masse des pieds-plats que nous sommes n’a-t-elle plus les moyens d’accéder au nécessaire. Inquiète, elle se replie sur son maigre bas de laine, se prive du superflu et fait baisser mécaniquement la circulation des pépètes dans les tuyaux de l’économie. L’argent perdant de sa valeur, le riche commence à craindre pour sa propre galette. C’est là qu’il se dit qu’il faut d’urgence donner aux masses la possibilité de relancer fissa le grand bal de la consommation…

Nous ne devons pas exiger « plus d’argent » pour chacun, mais « mieux d’argent » pour tous.

Les députés de la République en marche peuvent bien faire de spectaculaires moulinets en faisant grand cas des milliards qu’ils mettent soi-disant sur la table « pour soulager le bon peuple », ce n’est certainement pas la grandeur d’âme ni la passion de l’égalité qui les anime. Aussi généreuses soient-elles, les mesures qu’ils proposent ne sont jamais que circonstancielles. Car il n’est pas question pour eux de modifier la structure des règles du jeu. Une fois la crise passée, la donne n’aura pas changé: les riches et les très riches continueront de s’enrichir tandis que le pouvoir d’achat de la grande masse des classes moyennes et populaires continuera de rester très encadré, dans les limites de ce qui est strictement nécessaire au fonctionnement de la machine, et au maintien d’une paix sociale relative.

Aussi ne devons-nous pas exiger plus, car le plus renvoie à la quantité, mais mieux, car le mieux fait référence à la qualité. Nous ne devons pas exiger « plus d’argent » pour chacun, mais « mieux d’argent » pour tous. Mieux de partage, mieux de répartition, mieux de justice, mieux d’impôts. Le premier pas pour aller vers ce mieux, c’est de faire tomber les extraordinaires protections que cette majorité n’a de cesse de renforcer autour de ceux qui s’enorgueillissent d’être les créateurs de l’emploi et de la richesse en oubliant ce qu’ils doivent à la grande masse du peuple auquel ils n’accordent qu’un seul pouvoir: le pouvoir d’achat associé au devoir de se taire.

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