Réinventer ?
Réinventer ?

Réinventer ?

[Dimanche 26 juin 2022] Je lis ce dimanche matin l’interview de Carole Delga dans « La Dépêche du Midi ». Une pleine page qui ressemble fort à une obligeante opération de sauvetage d’une camarade faisant eaux de toutes parts après s’être frottée, telle le Titanic, au solide iceberg de la Nupes (j’imagine que sur ce même passionnant sujet, une interview du président du conseil départemental de Haute-Garonne, Georges Méric, ne saurait tarder…). Dès le titre, donc, on ne peut qu’être frappé par cet appel à nous « réinventer ». D’abord parce qu’il nous revient aux oreilles depuis des semaines, comme une sirène de détresse, de journaux en radios et télés, lancé par des camarades en quête d’audience ou de soutien. Le mot frappe ensuite car — c’est ce qui le rend suspect — il est généralement prononcé avec des accents incantatoires, et sans que ceux qui l’emploient n’expliquent jamais vraiment le sens qu’ils y mettent.

Pourquoi donc, chaque fois que j’entends cette injonction à nous réinventer, me vient une trouble sensation de flottement hasardeux? Que signifie ce mot? Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire de s’inventer à nouveau? Comment fait-on cela exactement? Le verbe ne convoque pas d’image. L’invention est une chose qui n’existe pas avant que l’inventeur ne la fasse advenir. Quelque chose de nouveau, donc. Se réinventer impliquerait que nous fassions advenir une chose qui n’existe pas encore et dont, forcément, nous n’avons pas idée, ou alors un embryon d’idée, une intuition vague. Le mot nous dit en outre que nous avons déjà fait la chose une fois, et nous laisse entendre que nous pourrions donc la faire une deuxième fois. Mais faire quoi précisément, nommément? Personne ne le dit jamais. Nous devons nous réinventer. Point. Nous restons dans le flou, le brumeux. C’est dangereux la brume. Surtout quand on cherche son chemin parmi des forces en mouvement, souvent hostiles, parfois même cannibales…

La vérité c’est que « réinventer » est le mauvais mot. Et si c’est le mauvais mot, c’est que c’est aussi la mauvaise idée. Ceux qui nous y invitent le savent-ils? La vérité c’est que nous n’avons rien à inventer, et rien non plus à réinventer, parce que nous avons déjà tout : la grande idée, le grand projet, la culture et tous les outils qui vont avec. Non, décidément, le bon mot n’est pas « réinventer ». Le bon mot, s’il en fallait un, ce serait plutôt « réapprendre ». Nous devons apprendre à nouveau ce que c’est vraiment que le socialisme, ce qu’est son essence et son but. Nous devons apprendre à nouveau ce que nous savions déjà, et que nous avons mis sous le boisseau pour ramener notre idéal de transformation à un idéal d’adaptation. Nous devons réapprendre ce qu’avec cette idée, nous pouvons construire comme société plus humaine, plus fraternelle et plus juste. Nous devons renouer avec la grande utopie, celle qui n’est pas une chimère mais une ambition à réaliser. Et cela ne peut se faire qu’en revenant à nos bases, en nous arrachant à ce mouvement centripète mortifère furieusement accéléré par la Macronie. Le centre, l’hypercentre, c’est le point immobile. Nous, nous sommes le mouvement.

Quel est le plus petit dénominateur commun entre tous ceux qui se réclament d’une pensée de gauche? On pourrait parler du partage, du primat de l’intérêt général sur l’intérêt particulier, de l’égalité, de la justice, toutes choses qui ne sont pas le fait d’un ordre naturel des choses ni ne relèvent d’une divine immanence, mais qui sont le fait d’une conscience et d’une volonté très humaines. Les choses que nous devons faire sont finalement plutôt simples. Bien plus simples en tous cas que de s’atteler à la tâche improbable d’une réinvention dont on ne perçoit pas bien les ressorts ni les buts.

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