Pour rester socialiste… quitter le Parti socialiste
Pour rester socialiste… quitter le Parti socialiste

Pour rester socialiste… quitter le Parti socialiste

On a tous nos Rubicon, nos lignes rouges, nos rivières sans retour. La fracture consommée et assumée par tous les prétendants au siège de Premier secrétaire du Parti socialiste avec la France insoumise est une faute majeure. Sans renier les mérites d’Olivier Faure qui a repris les rênes du parti dans les circonstances apocalyptiques que l’on sait, qui a tenu bon la ligne unioniste de la Nouvelle union populaire, écologiste et sociale en 2022, puis celle du Nouveau Front populaire à partir de juin 2024, force est de constater aujourd’hui qu’en proposant une union de la gauche « de Ruffin à Glucksmann », il donne le point à nos ennemis de droite et du centre lesquels, grâce aux nombreux médias de masse dont ils sont propriétaires, déploient depuis des mois et des années les moyens considérables d’une propagande effrénée pour empêcher toute union de gauche intégrant la France insoumise, seul parti semblant présenter à leurs yeux un danger sérieux pour leurs intérêts financiers immédiats.

Ce qui déjà pointait son nez au congrès de Marseille en 2023, puis aux universités d’été de Blois en 2024 et contre lequel nous mettions déjà en garde ici se réalise à la veille du congrès de Nancy où il n’y a finalement plus rien à défendre si ce n’est l’idée totalement fantasque et illusoire qu’un Parti socialiste vidé de ses troupes puisse redevenir le centre de gravité d’une union des gauches amputée de la formation faisant, et de loin, le plus de voix en portant un projet de gauche, à la fois radicalement républicain et radicalement réformiste.

Au conseil national du Parti socialiste, le 26 avril 2025. / photo Mathieu Delmestre

Nancy sera donc le congrès du rattachement de fait du Parti socialiste au bloc central. Il s’en défendra bien sûr. En se rengorgeant dans des postures « de gauche », en nous bassinant avec des « gauche de gouvernement », des « gauche du réel », des « gauche du faire » et autres billevesées autour desquelles prospère un hiatus aussi permanent que savamment entretenu. En prétendant aussi rallumer la flamme d’une social-démocratie qui a certes permis d’arracher des progrès sociaux non-négligeables dans le passé, mais qui est aujourd’hui et pour longtemps encore totalement inopérante face à l’emballement frénétique d’un capitalisme mondial qui se double désormais d’un féodalisme de très mauvais aloi.

Concernant la position nouvelle d’Olivier Faure sur l’union de la gauche « de Ruffin à Glucksmann », d’aucuns cherchant quelque indulgences à accorder m’ont parlé d’une possible « posture de congrès ». Mais une « posture de congrès », si tant est qu’il s’agisse bien de cela, c’est une manœuvre, c’est un louvoiement, un défaut d’affirmation, l’aveu d’une faiblesse. En l’espèce, il ne s’agirait même pas d’une concession, mais d’une cession sans contrepartie aucune, d’une abdication pure et simple. Or, dans la nouvelle configuration tripartite de notre paysage politique, il n’y a pas de place pour les voies moyennes (relire ici cette analyse sur les dangers de la terrible « impasse mexicaine »). Les louvoiements ne peuvent que nous entraîner vers le centre — qui est en fait, la droite — hypertrophié, macrophage, virant inéluctablement — on l’a vu, on le voit, et on le verra encore — vers un autoritarisme anti-démocratique dangereux. Y a-t-il raisonnablement une place qu’on puisse nommer « la gauche » entre la France insoumise et le bloc centre? Une place dont le Parti socialiste serait la force motrice? Avec quarante mille adhérents? Ce n’est pas sérieux. Ce qui est sérieux en revanche, c’est que les vrais adversaires d’un ordre social construit sur le partage des richesses voulaient absolument la fracture à gauche, et que nous leur avons donné, que nous leur avons offert, la fracture.

Exclure la France insoumise d’une nouvelle union de la gauche, c’est donner crédit aux accusations notoirement frelatées qui ont été mobilisées pour discréditer, disons-le quitte à se faire hacher menu, un mouvement-frère dont on sait fort bien, sans avoir à faire de longues recherches pour s’en assurer vraiment, qu’il n’est ni antisémite, ni anti-républicain, ni anti-laïcité et encore moins anti-démocratie pour ne citer que ces quatre thèmes qui inondent depuis des mois les ondes et les réseaux sociaux. Dans cette guerre de propagande le premier qui cède en donnant droit aux arguments de l’adversaire a perdu. Quelle que soit l’issue du congrès de Nancy, on peut donc déjà dire aujourd’hui que les socialistes ont perdu. Ils ont perdu quand ils ont cédé à la pression exercée pour leur faire croire que Mélenchon était leur ennemi numéro 1, reléguant dans les têtes la Macronie au second plan et le Rassemblement national à une menace avec laquelle on peut se permettre de temporiser. Ce faisant, le Parti socialiste s’est infligé une double peine en continuant d’aggraver son image de partenaire versatile, peu fiable et imbu de son grand passé. Tout cela est pain bénit pour les forces libérales qui savent fort bien se liguer dès qu’il s’agit d’empêcher durablement toute résurgence d’une gauche unie porteuse d’espoir pour les classes moyennes et populaires que l’on préfère maintenir dans la frustration et la rage, au grand bénéfice de l’extrême droite.

Tout ceci nous ramène à la seule question qui vaille: qu’est-ce qu’être socialiste aujourd’hui dans un monde où l’organisation des pays et des nations est supplantée par un ordre dominant mu par l’accaparement et l’accumulation de toutes les richesses en même temps qu’il est totalement mondialisé? Si être socialiste, c’est continuer à vouloir penser le partage, si c’est œuvrer à saper les fondements d’un capitalisme qui conduit à l’autodestruction de l’humanité, si c’est remettre en cause encore et toujours un ordre bourgeois qui prospère à la sueur et aux larmes des masses pauvres, si c’est questionner sans relâche nos organisations sociales, notre relation à la propriété (des moyens de production mais pas que), au travail, aux ressources naturelles, si être socialiste c’est refuser de laisser libre cours à « la main invisible du marché », celle-là même qui exploite et qui tue et n’est que l’autre nom de la lutte féroce de tous contre tous, alors c’est de cela et de rien d’autre dont nous devrions parler dans nos fédérations et nos sections, des lieux qui ne vivent plus qu’au rythme des échéances électorales, où l’on gère prioritairement les ambitions personnelles et les ego et dans lesquels, ils faut bien l’admettre, toute idée de travail sur les idées est à peu près absente.

A la veille du 81e congrès, écoutant pendant que la planète brûle et que l’humanité s’entretue les uns et les autres jouer de la flûte (ou de la harpe) sur l’air ineffable du changement-qui-va-tout-changer, on se dit, pour parler crûment, qu’on n’a pas le cul sorti des ronces. Et l’on se fait peu à peu à l’idée que pour rester vraiment socialiste, il n’y aura bientôt pas d’autre choix que de quitter le Parti socialiste.

2 commentaires

  1. Douic

    Quelle belle tirade pour démontrer que parce que l’on pas d’accord avec les orientations du Parti socialiste on doit quitter le parti . C’est une évidence, si on adhère pas à l’orientation politique d’un parti, on a en effet rien à faire dans ce parti. Mais dire que si on quitte le Parti socialiste il n’est plus socialiste, quelle prétention. Un parti est constitué d’adhérents divers et pas d’accord sur tout, mais c’est la majorité qui fixe la ligne, même si dans le cas du Parti socialiste toutes les tendances sont représentées à l’organe de décision.Et si le Parti socialiste apparaît de l’extérieur comme un peu compliqué c’est justement parce qu’il y est permis d’exprimer sa différence. C’est cela la démocratie et accepter cet état de fait relève d’un fonctionnement démocratique. La seule voie issu pour ceux qui n’acceptent pas le fait majoritaire c’est de créer son propre parti.mais faire de la politique c’est vouloir améliorer le sort des citoyens et je doute que la multiplication des micros parti puisse répondre à cet objectif

    1. Très bonne et très juste remarque : si l’on n’est plus d’accord avec les orientations de son parti, il faut effectivement le quitter. Mais sous ses dehors provocateurs volontiers assumés, cet article ne dit pas que « si l’on quitte le parti socialiste, il n’est plus socialiste ». Il rappelle d’abord une chose, qui est aussi une évidence, c’est que le « socialisme », la doctrine socialiste, n’appartient pas au Parti socialiste et que donc, on peut être et se dire « socialiste » en dehors du Parti socialiste. Ce texte est avant tout l’expression d’une colère partagée par un certain nombre de camarades qui déplorent l’unanimité des trois textes d’orientation proposés au congrès sur la question d’une union à gauche sans la France insoumise. Nous sommes un certain nombre à penser que c’est une faute lourde, d’autant plus grave qu’elle est, en quelque sorte, un cadeau fait à nos ennemis de droite qui ont œuvré pendant des mois avec toutes les ressources qui étaient à leur disposition pour que cela se produise. Nous voyons que le Parti socialiste, notre parti, est l’artisan, l’auteur de l’ultime fracture qui fait la joie de nos adversaires. Et c’est pour cela que nous nous apprêtons à partir, qui vers Génération.s, qui vers la France insoumise, la boule au ventre pour certains qui ont largement plus de 40 ans de boutique et quelques beaux faits d’armes à leur actif. Malheureusement, il faut en faire le constat « toutes les tendances » ne sont plus représentées au sein du parti, ce que démontre cet unanimisme sur la question Mélenchon. La tendance qui pense qu’en aucune circonstance et sous aucun prétexte (et surtout pas ceux qui sont obligeamment fournis par l’adversaire), il ne saurait y avoir d’ennemi à gauche, ne l’est plus. C’est ce constat qui est fait ici sans rancœur inutile et dont il faudra, effectivement, tirer les conséquences.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *